Un article publié le 3 février 2014 par Philippe Steinier sur HANDIMOBILITY
Les cabinets médicaux deviendront-ils accessibles aux personnes en situation de handicap pour 2015 comme l’exigeait au départ la loi de février 2005 ? Bien sur que non !
Beaucoup de praticiens déclarent aujourd’hui (tout comme hier) qu’ils sont simplement incapables de se rendre accessible pour 2015.
Les syndicats MG France (Syndicat des Médecins généralistes) et FMF (Fédération des Médecins de France) proposent, non pas de postposer les dates butoirs de mise en accessibilité, mais bien de faire accepter une dérogation à cette obligation légale si le médecin propose des visites à domicile.
La FMF va encore plus loin en faisant mention de la « jurisprudence RATP « . Elle demande que celle-ci s’étende aux médecins libéraux. Comment ? Médecins-RATP, même combat ?
On pourrait le croire lorsque celle-ci déclare : « de la même façon que la RATP a obtenu de ne pas mettre tous les métros aux normes « handicapés » (…), la FMF demande que la visite à domicile soit une alternative reconnue ».
MG France insiste quant à elle sur le fait que le médecin qui effectuerait des visites à domicile ne devrait plus être tenu de demander une dérogation, ce type de visite devant être considéré comme : « une solution officiellement validée sans que chaque médecin soit obligé de demander une dérogation à la commission ad hoc ».
L’Union nationale des professionnels de santé vient de montrer de son coté que la confrontation était maintenant ouverte avec le principe d’obligation légale d’accessibilité des cabinets médicaux aux personnes handicapées . En effet celle-ci a déclaré qu’elle a pris la décision de « se retirer des travaux de la commission sur la mise en place pratique de la loi de 2005 afin de ne pas cautionner des décisions irréalistes et insupportables qui y seront prises ».
Alors la visite à domicile remède miracle au cabinets inaccessibles ?
Cela peut sembler une solution remplie de logique et de sagesse mais c’est sans doute un raisonnement un peu court et très caricatural qui biaise la réalité de la situation des cabinets médicaux, une réalité peu glorieuse qui s’étale maintenant sur des décennies voire sur plusieurs générations de médecins.
Notons quelques autres axes de réflexion très subtilement oubliée dans cette proposition.
1 – Peux-t-on continuer à accepter au 21ème siècle qu’un très grand nombre de cabinets médicaux excluent de leur préoccupation première l’accessibilité au handicap alors que, par essence même, ces praticiens s’adressent à une « clientèle » forcément en état de faiblesse et donc susceptible de présenter bon nombre de problèmes d’autonomie. A ce titre, un petit regard sur l’évolution de la pyramide des âges et le vieillissement de la population montrent que ce problème ne fera que croitre très rapidement.
2 – Le médecin garantira-t-il toujours qu’il effectuera des visites au domicile du patient ? De plus en plus souvent (et les médecins vieillissant eux-mêmes) abandonnent les visites domiciliaires. Quels seront alors leurs obligations légales ? Devront-ils alors subitement rendre accessible leur cabinet qui ne pouvaient pas l’être précédemment ? On en doute réellement. On voit donc très vite se profiler la faille du système.
3 – Qui peut garantir que la visite rendue à domicile ne sera pas tarifée à un niveau beaucoup plus important que la visite effectuée au cabinet médical ? C’est le cas en Belgique ou les différences deviennent plus que substantielles. Une différence voulue par les médecins eux-mêmes arguant du fait qu’ils perdent du temps lors des trajets rendus nécessaires entre les visites et le cout du carburant et autres frais ? La personne handicapée devrait donc ainsi payer de sa poche la non conformité du cabinet du médecin. Ne soyons pas crédule, si la personne handicapée payait le même prix alors la différence pourrait vite émarger à la charge de la sécu et donc de la collectivité toute entière.
4 – Pourquoi encore aujourd’hui, alors que la problématique du handicap est bien connue de tous, de nouveaux cabinets médicaux s’établissent toujours (et en dehors de tout bon sens) à l’étage, dans de vieux bâtiments hors normes ou d’une façon plus simple dans des lieux totalement inaccessibles aux personnes en fauteuil roulant ?
Enfin, et c’est sans aucun doute l’élément le plus effrayant (et je soupèse mes mots), j’ai pris connaissance des commentaires de certains médecins à la suite d’articles mentionnant cette problématique. Les arguments invoqués nous posent une et une seule question : Ces personnes sont-elles véritablement capable de porter une réflexion qui dépasse le seuil de leurs propres intérêts particuliers ?
Il s’agit d’une véritable complainte (pour ne pas dire litanie) à la taxe injuste, aux couts, aux charges professionnelles, aux normes aberrantes, à l’Etat incapable mais encore plus important au manque de rémunération et aux pauvres rentrées financières liées à leur secteur d’activité ! Sans vouloir minimiser les problèmes du secteur médical on semble bel et bien nager ici en pleine disproportion par rapports aux problèmes soulevés. Tout ceci me rappelle la longue discussion que j’ai eu avec (non pas un médecin généraliste) mais bien un dentiste (et la, pas de visite à domicile possible). Lorsque je lui faisait remarquer qu’habitant dans plus grande ville francophone de Belgique j’étais incapable de trouver un cabinet dentaire accessible au fauteuil roulant même dans l’agglomération, il me répondit que ce n’était pas un problème puisqu’il existait des hôpitaux !
Balayer d’un revers de main ma liberté de choix du praticien et de sa renommée par rapport à son cabinet inaccessible ne semblait donc ne lui causer aucun problème !
Bref derrière une prise de position qui se voudrait logique et de « bonne composition », ne sommes-nous toujours pas en présence d’un réflexe qui vise plus à mettre en place une technique d’évitement que celle qui permettrait de résoudre définitivement le problème ?
Cette pratique visant la mise en place de techniques d’évitement plutôt que de résolution de problèmes est celle qui plonge depuis des décennies l’Europe (et particulièrement la France) dans une période d’immobilisme qui coute toujours plus à la société globale.
Et puis, n’est-on pas en droit de se poser une question qui peut sembler naïve ou candide : depuis les années 70 (c’est à dire plus de 40 ans) ou l’on pointe du doigt l’inaccessibilité de certains cabinets médicaux, n’y-a-t-il pas dans cet immobilisme un réel manquement de motivation pour ne pas dire encore plus simplement de respect des personnes à besoins spécifiques ?
Evidemment il est toujours plus confortable de ne rien faire que d’agir. Il est aussi toujours plus aisé et profitable de ne pas investir ou de modifier sa situation que l’inverse mais, pourtant, il faudra bien un jour que la société et ses différentes composantes professionnelles voient plus loin que leurs propres intérêts personnels au bénéfice du bien collectif.
Ceci dit, je connais quelques médecins qui ont réalisé ces travaux d’accessibilité sans attendre d’obligations légales ou de dates butoir.
Il s’agit parfois de jeunes médecins qui débutent dans la profession, qui ne disposent pas de gros moyens financiers mais qui intègrent à leur métier la notion de respect du patient et de son autonomie.
N’y-a-t-il pas la matière à réflexion sur des courants de pensées différents au sein même d’un même corp professionnel ?
Enfin pour clôturer ma réflexion je n’ajouterais qu’une seule chose : un cabinet médical accessible n’est-il pas juste une preuve d’intelligence de la part d’un professionnel qui sait qu’il va s’adresser prioritairement à une population qui présentera la particularité d’être en mauvais état de santé, en état de faiblesse ou en déficit d’autonomie ? Parfois le simple bon sens semble avoir du mal à l’emporter.